mardi 20 juillet 2010

Fenêtre sur le Liban : interview du sociologue Frédéric Maatouk, Doyen de l'Institut des sciences sociales à l'Université Libanaise

... La sociologie en devenir (2)



Par Sanaa Chams


Avec une suite d'interviews consacrées à différentes personnalités méditerranéennes, nous avons voulu mettre en exergue celles du Liban, pays qui ne cesse d'être, malgré ses problèmes politiques, un phare intellectuel et un pôle important de la liberté d’expression et ce, grâce à quelques personnes qui croient à son triple rôle sur l’échiquier national, régional et international.

C’est dans cette optique que nous proposons une série d’interviews pour mettre la lumière sur les dernières productions intellectuelles au Liban et d’autres pays méditerranéens.

Ainsi, nous commençons cette série avec le Professeur Frédéric Maatouk, une personnalité libanaise connue surtout dans le milieu universitaire et académique. Cet article est présenté dans deux langues, français et arabe (cf. ci-dessous, volet 1), la première étant dans laquelle le professeur Frédéric Maatouk excelle, d’autant qu’il a non seulement fait ses études universitaires en France mais, aussi, parce qu’il a été imprégné de la langue française dès l’enfance, sa mère étant française.

Doyen de l’Institut des sciences sociales au Liban et professeur de sociologie à l’Université Libanaise, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine académique mais aussi littéraire. Sa thèse présentée à Paris, fut dirigée par Jean Duvignaud, grand nom de la sociologie française.

Le dernier livre de Frédéric Maatouk, « Les abeilles de l’ermite », se présente comme étant l’expression d’un parcours personnel de quelqu’un qui s’est trouvé, tout comme Gibran, face à un monde discret, plein de secrets, d’êtres et de symboles dont la signification ne se dévoile que pour quelqu’un douée d’une distinction quelconque ou qui a reçu une grâce, une certaine bénédiction divine. Sur le chemin de la sagesse, le héros du roman trouve des réponses à ses questionnements.

Les événements du livre se déroulent dans une vallée qu’on dit sainte du Liban-Nord, à l’ombre du couvent de saint Antoine. Dans ce livre, l’âme de l’auteur apparaît, une âme orientale, habitée de Mystères et de Symboles ; où l’auteur trouve l’apaisement dans une ascension spirituelle qui nous rappelle celle des ermites de par le monde à la recherche de leur propre initiation. Une sorte de passage du monde des profanes à celui des dieux. Et chaque initiation est un retour au Soi et chaque retour est une prière, une bénédiction, où l’âme humaine cherche à se perfectionner pour toucher l’infini.

Nous avons posé quelques questions au Doyen pour être au fait de son travail et de la situation de la sociologie au Liban.

International NewsNet : Où se trouve la sociologie dans l’échiquier du Liban et sur la carte méditerranéenne ?
Frédéric Maatouk : Depuis trente ans, je travaille dans le domaine des sciences sociales ; ainsi, ma modeste expérience me dit que les sciences sociales dans le monde arabe occupent une place de subordination. Il n’y a pas de spécialisation universitaire dans le domaine de « la sociologie de la femme arabe » par exemple ; il n’y a pas de magazines anthropologiques spécialisés dans des questions telles que la tribu, le clan dans les sociétés contemporaines, et il n’y a pas de revues spécialisées en démographie. Ce qui signifie que le sujet et le chercheur sont les deux absents par excellence ! Ce qui signifie, également, que ce qui est permis et crédibilisé, c’est la sociologie en tant que matière d’enseignement et pas plus. Cette spécialité qui s’est imposée en Europe grâce aux recherches à la fin du 19e siècle, et qui a fait son entrée universitaire, a excellé parce que s’inspirant du domaine de la recherche, se trouve étrangère dans nos universités et ne donnant pas suite à des recherches vitales en phase avec les problèmes sociaux du monde arabe ! Certains pensent que, peut-être, c’est encore tôt mais, personnellement, je pense qu’il y a une certaine faillite sur le double niveau, officiel et personnel quant à ce sujet. Ni les gouvernements qui ne s’intéressent pas à ces sujets (la structure clanique, la femme, le confessionnalisme, etc. et n’y voient pas de vrais problèmes) et ni les professeurs de sociologie qui n’ambitionnent pas à devenir des chercheurs. Tout le monde baigne dans un climat de silence négatif...

International NewsNet : Vue l’importance de l’institution médiatique au Liban et l’importance de cette dernière dans le monde, pourquoi n’y a-t-il pas, au Liban, une spécialité comme la sociologie de l’information ? Y a-t-il une possibilité d’ouvrir et à l’instar des pays développés, comme la France par exemple, une branche de cette spécialité dans l’Université Libanaise ?
Frédéric Maatouk : Cette spécialité mérite vraiment sa place dans l’Institut des sciences sociales au Liban, mais ce qui nous manque, c’est le nombre de spécialistes dans ce domaine. Nous avons besoin de quatre ou cinq enseignants-chercheurs dans ce domaine pour pouvoir répondre aux besoins de cinq branches (au nombre de cinq districts). En outre, au niveau des Masters, nous avons besoin de quatre professeurs pour commencer l’enseignement. Donc, nous attendons patiemment qu’une occasion pertinente se présente pour ouvrir cette branche.

International NewsNet : Monsieur le Doyen, quels sont vos prochains projets académique et littéraire ?
Frédéric Maatouk : C’est une encyclopédie sociologique trilingue (arabe, français, anglais) qui va sortir au mois de décembre à Beyrouth.

International NewsNet : Et votre production littéraire ?
Frédéric Maatouk : Ce n’est pas dans l’immédiat mais j’y pense !

International NewsNet : Merci, Monsieur le Doyen, de nous avoir accordé cette interview.
Frédéric Maatouk : Merci pour vous et bonne continuation.